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ÉVANGÉLINE

Pendant qu’à la clarté du foyer vacillant,
Prenant un air moqueur, un regard sémillant,
Chaque face sculptée au dossier de sa chaise
Semblait s’épanouir et sourire à son aise,
Et que sur le buffet, les plats de fin étain
Luisaient comme au soleil des boucliers d’airain.


Le bon vieillard chantait d’un ton mélancolique
Des refrains de chanson, des couplets de cantique,
Ainsi que ses aïeux, jadis, avaient chanté,
À l’ombre de leur bois, sous leur ciel enchanté,
Leur ciel de Normandie. Et son Évangéline,
Portant jupe rayée avec blanche câline
Filait, en se berçant, une filasse d’or.
Le métier dans son coin se reposait encor,
Mais le rouet actif mêlait avec constance,
Son ronflement sonore à la douce romance
Que chantait le vieillard assis devant le feu.
Comme dans le lieu saint quand le chant cesse un peu
On entend, sous les pas, vibrer l’auguste enceinte,
Ou du prêtre à l’autel on entend la voix sainte.
Ainsi quand le fermier, vaincu par les émois,
Suspendait les accents de sa dolente voix,
De la vieille pendule au milieu des ténèbres
On entendait les coups réguliers et funèbres.