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ÉVANGÉLINE
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Nul oiseau ne chanta le coucher de ce jour.
On n’ouït point sonner l’Angelus dans la tour.
On ne vit point surgir de légères fumées,
Ni luire de lumière aux fenêtres fermées !


Afin de réchauffer leurs membres engourdis
Plusieurs des paysans, parmi les plus hardis,
Allèrent amasser, sur le tuf de la rive,
Quelqu’épave venue au bord à la dérive,
Et firent de grands feux. Bientôt on put les voir
Qui venaient, tour à tour, sur des roches s’asseoir
Autour de ces brasiers aux vives étincelles.
L’on ouït encor, là, des menaces nouvelles,
Des lamentations et des gémissements !
Des enfants nouveau-nés les longs vagissements,
Les pleurs et les sanglots des vierges et des femmes,
Et les cris furieux des hommes dont les âmes
Sortaient soudainement d’une longue torpeur
Montèrent à la fois au trône du Seigneur.
Et parmi les soldats dédaigneux et farouches,
Sans craindre les jurons qui sortaient de leurs bouches.
Passait silencieux le bon Père Félix :
Et toujours dans sa main tenant le crucifix
Il allait plein d’ardeur, humble et divin apôtre,
Sans se décourager, d’une troupe vers l’autre,
Pour calmer et bénir son peuple infortuné.
En arrière des feux, sous un arbre incliné,
Il vit Évangéline assise avec son père.
Le front majestueux de ce vieillard austère