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évangéline

Aux lueurs du brasier reluisait de pâleur ;
Son œil hagard et fixe exprimait la douleur ;
Ses mains se bleuissaient ; la vie ou la pensée
Sur son front chauve et blanc paraissait effacée,
Et sa lèvre livide était sans mouvement,
Sa fille, toute en pleurs, prodiguait vainement
Les plus aimables soins, la plus douce tendresse,
Il était insensible aux pleurs de sa détresse
Comme à son dévoûment, comme à ses mots d’espoir.
Sur les feux qu’attisait le léger vent du soir,
Ouverts sinistrement, mornes, vitreux et ternes,
Ses yeux étaient fixés pareils à deux lanternes
Qui jettent, en mourant, une faible lueur.
Un lugubre rayon, à travers la noirceur.
— « Benoît ! allons, Benoît, soyons forts dans l’épreuve,
« Et bénissons les maux dont le ciel nous abreuve, »
Dit alors le bon prêtre avec force et respect.
Il en aurait dit plus, mais au pénible aspect
De ce vieillard mourant, de cette jeune fille
Qui bientôt n’aurait plus ici-bas de famille,
Son âme se gonfla ; comme un chant dans les bois
Sur sa lèvre entr’ouverte alors mourut sa voix.
Il posa ses deux mains sur la vierge plaintive,
Promena ses regards un moment sur la rive,
Les leva, tout en pleurs, vers la voûte des cieux
Où, dans la pourpre et l’or de leurs sentiers si vieux,
Le soleil bienfaisant, les étoiles sereines
Roulent, avec accord, peu soucieux des peines
Qui troublent ici-bas l’infortuné mortel.
Et quand il eut fini d’invoquer l’Éternel,
Il s’assit en silence auprès de l’humble vierge,
Et tous deux, bien longtemps, pleurèrent sur la berge.