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ÉVANGÉLINE

Ne réveillèrent point ceux qui dormaient, comme elle,
Sous la mousse des bois, sous le toit de dentelle
Que les rameaux touffus formaient au-dessus d’eux.
Le canot des chasseurs glissa sur les flots bleus
Comme, sur un jardin, l’ombre d’un haut nuage :
Et quand il eut longé la courbe du rivage,
Que le cri des tollets mourut dans le lointain,
Plusieurs des fugitifs s’éveillèrent soudain,
L’esprit bouleversé d’une angoisse inouïe.
Mais aux pieds du pasteur la vierge réjouie
Vint se précipiter avec émotion :

— « Ô mon père, dit-elle, est-ce une illusion
« Qui de mes sens troublés soudainement s’empare ?
« Est-ce un futile espoir où mon âme s’égare ?
« Ài-je entendu la voix d’un Ange du Seigneur ?
« Quelque chose me dit, dans le fond de mon cœur,
« Que mon cher Gabriel est près de cette plage ! »
Mais un reflet de pourpre inonda son visage,
Et puis elle ajouta mélancoliquement :
« 0 mon père, j’ai tort, j’ai tort assurément
« De te parler ainsi de ces choses frivoles :
« Ton esprit sérieux haît ces vaines paroles. »
— « Mon enfant, » répliqua le sensible pasteur,
« Ton espoir est permis, ton rêve est enchanteur,
« Et tes illusions, pour moi, ne sont point vaines.
« Puissent-elles marquer le terme de tes peines !
« Lorsque sur notre esprit flotte un pressentiment,
« C’est pour nous avertir de quelqu’événement,
« Comme au-dessus des flots la bouée attachée
« Avertit que, sous elle, une ancre gît cachée.
« Espère, ô mon enfant, et calme ton souci :
« Ton ami Gabriel n’est pas bien loin d’ici,