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ÉVANGÉLINE

Pour ses cheveux d’argent et pour son violon.
« Vive le vieux Michel, notre gai compagnon ! »
Crièrent à la fois, en écartant les saules,
Les gars qui le portaient sur leurs fortes épaules.
Et le père Félix aussitôt, se levant,
Les salua de loin et courut au devant.
En tombant dans les bras du vénérable prêtre,
Le ménestrel sentit, dans son âme, renaître
Les transports ravissants d’un âge plus heureux :
Il se mit à pleurer. Des souvenirs nombreux
A ses esprits émus alors se présentèrent ;
Et, vers les temps enfuis, ses pensers remontèrent !
Évangéline vint baiser ses cheveux blancs.
Il la prit dans ses bras, dans ses vieux bras tremblants,
Et mouilla son front pur de ses brûlantes larmes.
La pauvre Évangéline, elle avait bien des charmes
Quand il la fit danser, pour la dernière fois,
Avec son Gabriel et les gais villageois,
Au son du violon, sous le ciel d’Acadie !
Il la trouvait peut-être, à présent, enlaidie,
Car elle avait perdu les roses de son teint,
Et sa joue était creuse et son regard éteint ;
Mais plus beau que jamais était son noble cœur,
Éprouvé longuement au creuset du malheur !


Les proscrits Acadiens que le hasard rassemble,
Assis dans le jardin, s’entretiennent ensemble
Du bonheur qu’ils goûtaient au rivage natal,
Des maux qu’ils ont soufferts depuis l’arrêt fatal.