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Page:LeMay - Essais poétiques, 1865.djvu/99

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ÉVANGÉLINE

Pour ouvrir une gorge, un ravin périlleux
Où passent, en criant sur leurs âpres essieux,
Les pesants chariots de quelque caravane.
Au couchant l’Orégon roule une eau diaphane ;
De cascade en cascade, au loin vers le levant,
Le joli Nebraska verse son flot mouvant ;
Vers le ciel du midi maintes larges rivières,
Charriant, sans repos, les sables et les pierres,
Dans leurs lits balayés par le vent des déserts,
Coulent vers l’océan avec des bruits divers
Comme les sons d’un orgue ou d’une étrange lyre
Qu’une main fait vibrer dans un pieux délire.
Entre les flots d’azur de ces nombreux torrents
Qui dirigent leurs cours vers des cieux différents,
Se déroulent sans fin les superbes prairies,
Océan de gazon, mers ou plaines fleuries
Qui roulent sous le vent, et bercent au soleil,
La rose, le foin vert et l’amorphas vermeil.
Là, fiers ou courroucés, sur les flots de verdure,
Des troupeaux de bisons errent à l’aventure ;
Là courent les chevreuils et les souples élans,
Les sauvages chevaux avec les loups hurlants ;
Là s’allument des feux qui dévorent la terre ;
Là des vents fatigués soufflent avec mystère ;
Les sauvages tribus des enfants d’Ismaël
Arrosent ces déserts d’un sang chaud et cruel ;
Et l’avide vautour, hâtant ses ailes lentes,
En tournoyant dans l’air, suit leurs pistes sanglantes.
Comme l’esprit vengeur d’un chef que sous ses pas
A foulé l’ennemi dans les derniers combats.
De place en place on voit s’élever la fumée
Au-dessus de la tente où la horde affamée