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LE PÈLERIN DE SAINTE ANNE.

pas sans défense, et la mort est moins affreuse parce que l’homme s’est distrait dans l’énergie du combat. Mais se noyer quand pas un souffle ne ride les eaux, quand pas une vague ne berce l’embarcation, quand vous entendez chanter les oiseaux du rivage ; se noyer sans pouvoir repousser d’une main puissante le flot qui arrive, et sans pouvoir, ne fut-ce qu’un moment, élever, triomphant, son front sur l’abîme, cela n’entre pas dans l’idée. C’est presque une honte, et c’est le plus grand supplice pour un homme de cœur.

Le flot s’infiltre toujours par les crevasses nombreuses et le canot s’enfonce lentement. Le muet est couché dans l’eau. Un moment il a la pensée d’en finir et de faire verser la nacelle.

— Il ne m’est pas permis d’abréger mes jours, songe-t-il, même d’une heure : que Dieu accepte mon sacrifice en expiation de mes fautes.

Il réussit à se mettre la tête sur le petit siège d’arrière. Cela le repose un peu. L’eau entre toujours. Un rayon d’aurore glisse sur le fleuve comme un sillon que trace le soc dans la prairie.