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LE PÈLERIN DE SAINTE ANNE.

changeait et n’était guère moins cruel. Il fallait bêcher le sol humide ou dur, herser les planches raboteuses pour ensevelir le grain, déterrer les roches, arracher les racines et les broussailles dans les abatis. Au temps de la moisson, il glanait les épis, ramassait avec le râteau, mettait les harts, aidait à charger les voitures. Il montait sur le fenil pour fouler le foin parfumé que la fourche de saule jetait par bottes pesantes. La sueur ruisselait de son visage et sur tout son corps ; ses jambes fatiguées tremblaient ; ses yeux se voilaient d’un nuage de larmes et de poussière ; ses poumons aspiraient un air étouffant. Il était heureux quand il pouvait s’approcher de l’unique petite porte par où l’air pur du dehors entrait un peu, pendant que la fourche enlevait le foin de la charrette. Alors il pensait au vent, à la neige, et désirait l’hiver.

Le subrogé tuteur avait bien, quelquefois, fait des observations au tuteur ; mais Eusèbe était peu patient. Il n’aimait pas qu’on fit des remarques sur sa conduite. On n’insistait point, et l’on s’éloignait quand on le voyait secouer sa grosse tête frisée, ou fermer ses poings osseux. On le disait capable de jeter des sorts.