Page:LeMay - Les épis (poésie fugitives et petits poèmes), 1914.djvu/166

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
169
le brouillard

Quand d’une douce voix que les ans rendaient lasse,
Notre vieille maîtresse, avant, après la classe,
Disait : Veni, Sancte, disait le Sub tuum,
Elle cherchait toujours le saint Palladium,
Et nous devinions bien, à genoux en arrière,
La route où s’en allaient ses yeux et sa prière.

Or, un matin d’avril, après un long dégel,
Comme un voile d’argent enveloppe un autel,
Une molle buée enveloppa les chaumes.
C’était une mer blanche où voguaient des fantômes,
Où les objets perdus n’avaient plus de couleurs.
Parmi ces flots brumeux, sur le gazon sans fleurs,
Dans son enclos muet comme le cimetière,
La croix se dessinait très noire et tout entière.
On la voyait alors qu’en un ciel sans lointains,
Les arbres ébauchaient des contours incertains,
Et qu’au long de la route, en des ondes étranges,
Paraissaient s’engloutir les maisons et les granges.

Je sentais la tristesse et peut-être l’effroi
M’étreindre lentement, et mon âme avait froid.
Pour voir la croix planer sur le bourg en détresse,
Nous nous étions groupés auprès de la maîtresse.