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les épis

Il salua la croix mais ne la suivit pas.
Il n’était pas dévot. Il se disait tout bas
Que si le Tout-Puissant chassait les sauterelles,
Ses prières, à lui, ne pouvaient rien sur elles,
Et que ses champs de blé, d’orge ou de sarrasin,
Auraient le même sort que les champs du voisin.

Ils se rendirent donc, par la route champêtre,
Dans les clos menacés. Sûr de son Dieu, le prêtre
Fit pleuvoir, en chantant les versets du psautier,
Toutes les gouttes d’eau du large bénitier.
Au couchant le soleil brillait. Sanglantes dagues,
Ses rayons déchiraient le sein neigeux des vagues ;
Blanche, s’ouvrait au loin la voile d’un nocher…
Et la cloche sonnait dans le petit clocher.

Alors on entendit un étrange murmure ;
On eût dit le frisson d’une épaisse ramure,
Quand souffle tout à coup le frileux vent du Nord,
Et les épis tremblaient comme les joncs du bord,
Quand le flot irrité leur jette son écume.
L’air pur se satura d’une odeur de bitume.
Quelque chose grouillait partout dans les sillons,
Et cela fit bientôt de hideux tourbillons
Qui roulaient tour tour, masse glabre, effarée,
Vers la grève où montait l’implacable marée.