Page:LeMay - Les épis (poésie fugitives et petits poèmes), 1914.djvu/56

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
58
les épis


Son ombre redoutable obscurcir la fenêtre.
C’était un temps de deuil, il faut le reconnaître :
Nous étions délaissés des « gens du vieux pays ».
Cependant notre cœur ne les a point haïs.

Or, pendant que la guerre exerce son ravage,
À l’heure où tout s’écroule, une femme sauvage
Sortie on ne sait d’où, d’une sombre beauté,
Dans la ville conquise erre de tout côté.
Comme un rameau de pin que la brise secoue,
Et comme un voile noir qui tombe ou se dénoue,
Sa chevelure flotte au vent, son sein bondit.
Elle chante. On dirait un sanglot. Elle dit :

— Ô ma verte forêt ! ô ma forêt profonde !
Ton silence est rompu, ton secret est trahi…
Il n’est plus de promesse où mon espoir se fonde,
Ô ma verte forêt ! ô ma forêt profonde !
Ah ! par son souvenir mon cœur est envahi !…
Il me parlait d’un Dieu qui protège la femme,
Et met des anges bons sur ses étroits chemins.
L’homme blanc m’a trompée, et sa parole infâme
A pour jamais, hélas ! troublé mes lendemains !…
Ô ma verte forêt ! ô ma forêt profonde !
Il n’est plus de promesse où mon espoir se fonde !