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la débâcle

Est-ce pour avertir que tout est éphémère ?
Que rien ne doit combler nos désirs persistants ?
Que tout passe bien vite, et nous en même temps ?

— Henriette, disait le sensible poète,
Ton amour est ma vie, et pourtant je regrette
De t’avoir, imprudent, inspiré de doux feux.
Je regrette le jour où mes chastes aveux
Ont réveillé ton cœur et fait rougir ta joue.
Je t’aime comme alors, et plus, je te l’avoue ;
Mais que sert de s’aimer si l’on ne peut s’unir,
Si le prêtre de Dieu ne doit pas nous bénir ?…
Je suis bien pauvre, hélas ! et mon cœur désespère
De te voir volontiers partager ma misère.
Mon luth, ô mon amie ! est mon unique bien.
Le monde aime mes chants, mais ne me donne rien.
Je ne ramperais pas d’ailleurs, devant un trône ;
Je ne chanterais point pour une vile aumône ;
Et j’aime mieux rester à jamais indigent,
Que de vendre ma lyre une pièce d’argent.

— Par quel chagrin, Damas, ton âme est-elle étreinte ?
Pourquoi ces mots amers ? Fais taire cette crainte.
Partager ton destin, être pauvre avec toi,
N’est-ce pas, ô Damas ! mon seul désir à moi ?