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grèves vers le premier avril ; il y séjourne à peu près un mois et demi et repart pour aller couver dans les îles du bas du fleuve, du Lac St. Jean et à la Baie d’Hudson.

Rien n’égale la vigilance et le courage du mâle pendant la période de l’incubation : il se tient debout la tête levée, près du nid, qui est placé sur la terre, entouré de roseaux et formé de joncs et d’arbres secs ; il promène ses regards attentifs sur tous les environs, et prête l’oreille au moindre bruit. Le Renard a beau se traîner entre les herbes, il est aperçu, battu et mis en fuite. Audubon observa trois années de suite les allures d’un de ces jars, qui avait son nid près d’un lac, situé à peu de distance de la Rivière-Verte. « Toutes les fois, dit-il, que je venais visiter le nid de l’oiseau, celui-ci me voyait approcher avec un air d’indignation, se dressait de toute sa hauteur pour me regarder et semblait me toiser de la tête aux pieds ; puis, quand je n’étais plus qu’à quelques pas de distance, il secouait violemment la tête, et, s’élançant dans l’air, il se précipitait vers moi. Par deux fois différentes, il m’a atteint de son aile le bras droit, que j’avançais machinalement comme pour l’écarter, et avec une telle violence que je craignis un moment d’avoir le bras cassé. Après cette vigoureuse démonstration, il revenait aussitôt vers le nid, et passait affectueusement sa tête et son cou autour du corps de la femelle, puis reprenait, en me regardant, son attitude menaçante. »

C’est vers le 1er  avril que le chasseur canadien prépare son canot, ses traîtres « appelants, »[1] son infatigable « terre-neuve » et son fusil de chasse ; puis, dans son frêle esquif, il côtoie silencieusement les îles vaseuses de Sorel, les grèves de la batture aux loups-marins, vis-à-vis St. Jean Port Joly, ou bien à pied, il va se choisir une cache propice sur

  1. « Appelants » (ou plans comme dit le vulgaire) se dit des Outardes apprivoisées dont on se sert pour leurrer les Outardes sauvages.