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légresse du Grand-Duc, le coryphée en titre des oiseaux de la mort.

« C’est la première strophe de son Ode à la Nuit, c’est l’ouverture de la marche funèbre du jour, avec Invitation au Carnage, adressée du haut des airs à tous les assassins nocturnes, quadrupèdes et bipèdes. Entendez la réponse du loup, les plaintifs vagissements de l’hyène et les miaulements du chacal, les sourds grondements du tigre, du lion, de la panthère. Le signal du meurtre est donné, le concert infernal commence ; avant une heure ou deux les cris déchirants des victimes vous raconteront les phases de l’orgie sanguinaire. Je voudrais m’appeler Hector Berlioz pour écrire sur ce thème une superbe symphonie, où la sérénade de l’amoureux, les chants du rossignol et le lever du soleil feraient un délicieux contraste de nuances avec la couleur sombre du motif principal. Je crois, en effet, le moment venu de remettre à sa place la nuit, la douce nuit propice aux turpitudes, et de réhabiliter le soleil trop noirci par les myopes.

« À cette voix si connue qui déchaîne la tuerie sur les bois et les plaines et fait prendre leur volée aux innombrables essaims des farfadets nocturnes, tous les oiseaux de jour se blottissent en tremblant sous la feuillée épaisse, les forts comme les faibles, les braves comme les timides, car nul n’est à l’abri du poignard de l’ennemi commun. La Huppe s’évanouit de frayeur ; le Rouge-Gorge impétueux se raisonne, le Rossignol interrompt subitement sa cadence amoureuse ; le Merle vigilant sonne le dernier coup de la retraite pour aviser du péril les flâneurs attardés ; le Faucon généreux frémit de rage et s’emporte en imprécations comme Ajax contre l’obscurité qui le cloue à son perchoir et l’empêche de châtier le provocateur insolent… Le Lièvre, qui bondit par les blés, s’arrête comme foudroyé sur place, et se rase immobile sous la coulée herbue. Le chasseur le plus intrépide et le moins accessible aux lâches suggestions des ténèbres ne peut dissimuler un rapide frisson.

« Jamais terreur universelle ne fut mieux motivée, du reste ; car le Grand-Duc est, après l’Aigle, le plus fort et le mieux armé de tous les oiseaux de carnage, et ses coups sont plus sûrs, parce qu’il frappe dans l’ombre et que son vol muet le porte sur sa proie sans lui donner l’éveil.

« Le lièvre à l’ouïe subtile, sent les ongles de l’ogre s’incruster dans ses chairs, avant même de soupçonner sa présence. Le plus vite, le plus courageux de tous les oiseaux de combat, le vice-roi des airs pendant le jour, le Faucon à la vue perçante, tombe inanimé sous le poi-