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AUTOUR DE LA MAISON

grange était noire sur le ciel jaune. J’aurais vu les grands arbres, la lumière aux fenêtres, et la fumée blanche qui montait des cheminées. J’aurais vu la maison qui abritait, dans ces jours, mon enfance, la maison où je riais, où je chantais, où je pleurais, où j’aimais ! La maison où mon intelligence s’ouvrait, où mon âme se formait sous la main pieuse de maman, sous la surveillance tendre et indulgente de tante Estelle. La maison où j’ai tant aimé la vie heureuse, la vie active, où mon enthousiasme s’est éveillé, où ma sensibilité est née !

La maison était vieille, en mortier gris-blanc, avec un long toit bas et des lucarnes. Les arbres qui l’entouraient étaient vieux ; la clôture brunie de la cour penchait un peu, mais les têtes des cerisiers et des lilas regardaient par-dessus, et la rajeunissait de leur verdure. Tout ce chez-nous avait une figure d’expérience qui parlait. En face, la rivière était la paix qui disait : « Soyez sages, ne pleurez pas inutilement, soyez calmes en vous-mêmes, et vous marcherez comme moi, doucement, vers des pays d’or. » Et la maison, elle, disait : « J’ai souffert, j’ai vieilli, j’ai des années et des années sur mon pauvre mortier. Mais je me tiens droite, pourtant, je me tiens vaillamment pour vous conserver intact l’as-