Page:Le Ballet au XIXe siècle, 1921.djvu/10

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

PHÈDRE

Rien, encore. Nous regardions manger et boire nos semblables…

ÉRYXIMAQUE

Mais Socrate ne laissait pas de méditer sur quelque chose ?… Peut-il jamais demeurer solitaire avec soi-même, et silencieux jusque dans l’âme ! Il souriait tendrement à son démon sur les bords ténébreux de ce festin. Que murmurent tes lèvres, cher Socrate ?

SOCRATE

Elles me disent doucement : l’homme qui mange est le plus juste des hommes…

ÉRYXIMAQUE

Voici déjà l’énigme, et l’appétit de l’esprit qu’elle est faite pour exciter…

SOCRATE

L’homme qui mange, disent-elles, il nourrit ses biens et ses maux. Chaque bouchée qu’il sent se fondre et se disperser en lui-même, va porter des forces nouvelles à ses vertus, comme elle fait indistinctement à ses vices. Elle sustente ses tourments comme elle engraisse ses espérances ; et se divise quelque part entre les passions et les raisons. L’amour en a besoin comme la haine ; et ma joie et mon amertume, ma mémoire avec mes projets, se partagent en frères la même substance d’une becquée. Qu’en penses-tu, fils d’Acumène ?

ÉRYXIMAQUE

Je pense que je pense comme toi.

SOCRATE

Ô médecin que tu es, j’admirais silencieusement les actes de tous ces corps qui se nourrissent. Chacun, sans le savoir, donne équitablement ce qui leur revient, à chacune des chances de vie, à chacun des germes de mort qui sont en lui. Ils ne savent ce qu’ils font, mais ils le font comme des dieux.