Page:Le Ballet au XIXe siècle, 1921.djvu/12

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

avons la lumière ; anxieux de savoir, trop heureux d’ignorer, nous cherchons dans ce qui est, un remède à ce qui n’est pas ; et dans ce qui n’est pas, un soulagement à ce qui est. Tantôt le réel, tantôt l’illusion nous recueille ; et l’âme, en définitive, n’a point d’autres ressources que le vrai, qui est son arme, — et le mensonge, son armure.

ÉRYXIMAQUE

Bien, bien… Mais ne crains-tu pas, cher Socrate, une certaine conséquence de cette pensée qui t’est venue ?

SOCRATE

Quelle conséquence ?

ÉRYXIMAQUE

Celle-ci : la vérité et le mensonge tendent au même but… C’est une même chose qui, s’y prenant diversement, nous fait menteurs ou véridiques ; et comme, tantôt le chaud, tantôt le froid, tantôt nous attaquent, tantôt nous défendent, ainsi le vrai et le faux, et les volontés opposées qui s’y rapportent.

SOCRATE

Rien de plus sûr. Je n’y puis rien. C’est la vie même qui le veut : tu le sais mieux que moi, qu’elle se sert de tout. Tout lui est bon, Éryximaque, pour ne jamais conclure. C’est là ne conclure qu’à elle-même… N’est-elle pas ce mouvement mystérieux qui, par le détour de tout ce qui arrive, me transforme incessamment en moi-même, et qui me ramène assez promptement à ce même Socrate pour que je le retrouve, et que m’imaginant nécessairement de le reconnaître, je sois ? — Elle est une femme qui danse, et qui cesserait divinement d’être femme, si le bond qu’elle a fait, elle y pouvait obéir jusqu’aux nues. Mais comme nous ne pouvons aller à l’infini, ni dans le rêve, ni dans la veille, elle, pareillement, redevient toujours elle-même ; cesse d’être flocon, oiseau, idée ; — d’être enfin tout ce qu’il plut à la flûte qu’elle fut, car la même Terre qui l’a envoyée, la rappelle, et la rend toute haletante à sa nature de femme et à son ami…