Page:Le Ballet au XIXe siècle, 1921.djvu/126

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Taglioni eut un salon, un véritable salon, où fréquentèrent Méry, Alexandre Dumas, Eugène Sue, Musset, Balzac, Gérard de Nerval, Roger de Beauvoir, Mme de Girardin. — Meyerbeer, Auber, Spontini, Halévy, Liszt, Donizetti, Adam, Rossini, tenaient à honneur de composer quelques couplets pour son album. Méry affirme qu’elle avait dans l’esprit le charme de ses pieds divins, qu’elle dansait en causant. Mais les compliments de poètes ! Ne faut-il pas leur appliquer le proverbe italien : En fait d’argent et de sainteté, ne crois que la moitié de la moitié.

Le comte Gilbert de Voisins épousa Taglioni contre vent et marée, s’en repentit, se souvint alors de la prédiction de son avocat qui, ne pouvant refuser de faire des sommations à la famille, avertissait l’imprudent : « Je consens volontiers à vous assister dans cette affaire, mais à une condition, c’est que vous me continuerez votre confiance quand il s’agira de plaider pour vous en séparation. » Celle-ci eut lieu en 1844, après neuf années de mariage mouvementé. Taglioni sait parfumer de grâce, de modestie apparente ses caprices, elle est fantasque entre toutes : si bien que public, adorateurs, ne lui tiennent point rigueur ; on lui fait de telles ovations à l’Opéra, que la reine Marie-Amélie ne peut s’empêcher de remarquer : « Vous voyez que la reine de l’Opéra est mieux accueillie que la reine des Français elle-même. »

Que de souvenirs amusants on égrènerait en esquissant Carlotta Grisi, si applaudie dans le ballet de Giselle, inspiré de la légende des Willis ; partisan du cumul, voulant séduire par ses roulades et ses pirouettes, elle récolta ce compliment fourré d’ironie de Th. Gautier : « C’est une très jolie voix de danseuse ; beaucoup de cantatrices qui ne dansent point, n’en pourraient pas faire autant. » Plus tard il l’adora.

Voici Lucie Graham, qui sut remplacer Taglioni dans la Sylphide ; — Cerrito, célèbre par ses entrechats qui, à Londres, avec Taglioni, Territo Fanny Essler et Carlotta Grisi, dansa le plus fameux des pas de quatre ; — Rosati, Amélia, Ferraris, Amina Boschetti, Delphine et Louise Marquet qui faisaient dire à Roger de Beauvoir : La blonde c’est le jour, et la brune c’est la nuit ; et alors Th. Gautier observa gaiement : Ma foi, il y a des instants où l’on voudrait faire du jour la nuit, et réciproquement ; —