Page:Le Ballet au XIXe siècle, 1921.djvu/127

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Emma Livry, emportée, hélas ! par une mort affreuse : le feu prit un soir (1862) à la gaze de ses jupons, et elle expira après six mois d’atroces souffrances, âgée de vingt ans à peine : « Je me suis sentie perdue, dit-elle à sa mère le lendemain de l’accident, et j'ai vite fait un bout de prière. » Quand Feydeau commença le Mari de la danseuse, roman où l’héroïne était brûlée vive, il demanda à Emma Livry de lui expliquer le langage chorégraphique dont il n’avait que des notions assez vagues ; elle le fit, et compléta la leçon en dansant le pas du ballet de la Sylphide que le romancier voulait décrire : « En retour, dit-elle, racontez-moi votre roman. » Quand il eut fini, elle demeura pensive, puis, se retournant vers sa mère : « Mourir brûlée, observa-t-elle, cela doit faire bien souffrir. C’est égal, c’est une belle mort pour une danseuse. » Cette belle mort ne tarda pas à la frapper : tandis qu’on emportait au cimetière son cercueil couvert de blanches draperies et de fleurs virginales, un rat du dernier quadrille murmura, un peu mélancolique : « Moi aussi, j’aurais bien aimé mourir sage ! Mais je n’en avais pas le moyen. » Ainsi les choses ont leurs larmes et leurs sourires, la comédie côtoie le drame, et la grande loi d’ironie, tantôt amère et tantôt consolatrice, domine l’humanité.

Et cette charmante Beaugrand qui dut quitter l’Opéra, à trente-huit ans, à l’apogée de son talent, en 1880 ! Mais Mérante avait prononcé l’arrêt : elle n’est plus jeune! Sur quoi elle remarqua : « Il ne me trouve plus jeune parce que je le vieillis. » Beaugrand qui dansait mieux que toute autre une variation de violon, qui avait de la nuance, de l’esprit, de l'orthographe, et inspirait un sonnet à Sully-Prudhomme : Beaugrand ,

Dont le pas élégant, à sa chaste caresse,
Sans corrompre le cœur, enchaînait le regard.

Cette grâce particulière, qui fit dire à Roqueplan : « Elle danse en français : on ne se relève pas de cela », ne retarda point en effet son départ, mais son verbe vif et mordant ne la quitta point. « Que voulez-vous, lui disait-on, Sangalli danse dans une autre langue. — Oh ! fit-elle. Une autre langue ! Dites donc un patois ! Ce serait plus juste. »

La plus spirituelle de nos ballerines, vers 1900, était Mlle Salles :