Page:Le Ballet au XIXe siècle, 1921.djvu/145

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efforts, toutes ces tentatives ne parvinrent pas à modifier l’orientation générale du ballet vers le beau dynamique et plastique en soi, psychologiquement vide et nul. La réaction ne se prononce nettement qu’au début de ce siècle : on s’attaque dès lors non plus à ce qu’on appelait les exagérations ridicules du ballet classique, mais à son principe même. C’est la validité de ce principe que mettent en question les premières tentatives chorégraphiques de Fokine qui ne veut admettre nul geste, nulle attitude qui ne soient psychologiquement explicables, qui n’aient leurs raisons d’être dans l’état d’esprit du danseur, dans ses émotions, ses désirs, qui n’en puissent être déduits.

C’est le psychologisme simpliste, brutal, auquel Fokine lui-même a renoncé plus tard ; mais il en est un autre, caché, plus complexe et par cela même plus redoutable pour la conception classique du corps mouvant régi par ses lois propres, possédant sa signification particulière.

J’ai en vue ce qu’on pourrait appeler le « dalcrozisme » du ballet moderne, la tendance à faire intervenir la musique dans la structure de la danse, à faire régir le système des mouvements du corps par le système des sons.

Ces réformes sont tout à fait contraires à l’esprit classique qui pose en principe l’indépendance complète des différents arts les uns vis-à-vis des autres et leur autonomie intérieure : la beauté picturale, ainsi, est toute différente de la beauté poétique et celle-ci n’a aucun rapport avec le beau musical. On connaît la méprisante et superbe indifférence des grands maîtres de ballet envers la musique qui accompagnait leurs chefs-d’œuvre chorégraphiques : la musique marque le rythme et crée une certaine atmosphère, un état d’esprit favorable à l’éclosion et au déroulement des visions chorégraphiques, c’est tout. Son rôle donc est subalterne. La danse ne réalise pas la musique, mais cette dernière soutient, accompagne la danse. C’est le rapport contraire qui tend à s’établir aujourd’hui : le corps mouvant est destiné à fixer, à cristalliser la vie fluide et ondoyante des sons : il y a donc actuellement confusion entre les domaines de deux arts différents et aussi réalisme psychologique, car en dehors du rythme comment donc la musique peut-elle conditionner la danse