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177 SALVATORE VIGANO 81

illustrant les amours d’un dieu et d’une mortelle parmi des bosquets et des portiques enguirlandés. On découvrait une lande inculte, couverte de roches. Des êtres à face humaine, mais qu’on pouvait difficilement reconnaître pour des hommes, gisaient çà et là en des attitudes qui trahissaient leur stupidité bestiale ou bien erraient sur la scène en paraissant s’ignorer les uns les autres. Dans le fond, sur une colline, on apercevait Prométhée au milieu du chœur des Muses et des Arts. On assistait ensuite aux efforts stériles du Titan pour instruire les hommes dans l’art de construire des habitations et de cultiver la terre. Une pomme donnée par lui était l’occasion d’une rixe que nous décrit minutieusement Carlo Ritorni : « La pomme passe de main en main, toujours saisie par le plus fort. On pouvait voir comme en une école de nu, les mille attitudes diverses de ces sauvages athlètes, des raccourcis, des enlacements, des contrastes plus nombreux que n’en saurait rendre l’art du meilleur peintre. A chaque mesure, le tableau changeait et les mêmes éléments concouraient à composer un tableau entièrement nouveau (1). » Viganô mettait en pratique les idées de Noverre sur le réalisme de la mise en scène et de la mimique, idées que le réformateur lui-même n’avait jamais intégralement appliquées. Ce n’étaient pas des hommes furieux que montrait Viganô, mais de véritables bêtes féroces, combattant avec leurs ongles et leurs dents, s’acharnant sur les plus faibles, les femmes, les enfants. A la lin, l’un d’eux, se servant d’un tronc comme d’une massue, assommait ceux qui semblaient devoir ravir la pomme. Ce tableau, qui était réglé sur quarante mesures de musique, produisait, dit Ritorni, une impression profonde. Le deuxième tableau se déroulait à travers les vastes étendues des cieux. Prométhée et Minerve passaient sur un char au milieu des constellations au son de la musique écrite par Haydn pour peindre « la Création du monde ». Prométhée ayant allumé un brandon au char du soleil retombait sur la terre et au troisième acte, en faisait présent aux hommes. Des étincelles du feu naissaient de petits amours qui en un instant jaillis-

(I) Fokine a réalisé un tableau chorégraphique du même genre dans l’admirable scène des pirates frappés de terreur panique dans le ballet de Daphnis et Chloé (musique de Maurice Ravel). La pantomime de cette scène est rythmée musicalement.