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Page:Le Banquet - publication mensuelle, 1892.djvu/38

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pensée du maître pour s’élever à l’optimisme le plus naturaliste. Nietzsche est le fervent de la vie ; toutes les philosophies qui nient la vie, depuis le pessimisme mystique des chrétiens jusqu’au socialisme contemporain, toutes ces doctrines qui s’effraient de la dureté de la vie, pour qui l’individualité n’est rien par elle-même et qui sous prétexte de la protéger, l’anéantissent au sein d’un Dieu de miséricorde ou d’une démocratie autoritaire — il les hait. Doctrines de faibles et d’épuisés qui n’ont pas la vertu de vouloir vivre (will zur macht) et qui inventent la vertu du renoncement à la vie. — Morale bouddhique, morale chrétienne, morale kantienne, fondues dans la morale du maître de sa jeunesse, Shopenhauer, sont trois morales de décadence ; elles suppriment toute raison de vivre en niant la valeur de la vie ; elles mènent droit au suicide. Ce qu’il faut au contraire, c’est affirmer que la vie vaut en elle-même, accepter la vie en bloc, et la vivre aussi complète, aussi riche que possible. Soyons forts, orgueilleux et méchants — méchants, c’est-à-dire résolus à vivre quand même ; au surplus, ne nous interdisons pas la pitié, mais faisons-en un prolongement de notre force, le rayonnement de notre vie sur les autres. Égalité des hommes ici-bas : telle est la parole jetée par le Christ, ce « juif décadent », au vieux monde en ruine, et qui retentit à nouveau en nos siècles épuisés : parole de malades et d’impuissants ; ce qu’il faut dire, c’est que nous ne sommes pas égaux, c’est que les faibles sont justement et heureusement victimes des forts ; établir l’égalité entre les hommes, ce serait vouloir échapper aux conditions mêmes de la vie. Redevenons jeunes et fiers comme les nobles Hellènes « si confiants devant la nature », surtout comme ces vieux germains, les plus magnifiques des barbares. Pour donner un sens à la vie, vivons-la de toutes nos forces.

La morale mystique, cette morale d’esclaves qui renaît à chaque décadence, inspire en art des œuvres antinaturelles, maladives, « névrosées », comme se plaît à le répéter Nietzsche. Il y a une esthétique de décadence, née des morales de décadence, et qu’il faut combattre comme elles. Cette esthétique est celle de Wagner. Nietzsche avait cru en Wagner tant qu’il avait été shopenhauérien ; mais du jour où ses yeux s’ouvrirent à la vie et qu’il reprit confiance devant la nature, la musique de Wagner lui apparut comme un danger public. Le mysticisme chrétien de Tristan et de Parsifal ôte aux hommes le goût de la vie ; Wagner est le « décadent typique » ; comme tel, il est « achevé » et pour le psychologue qui veut étudier la névrose des civilisations décadentes, c’est un cas unique : Il y a un « cas Wagner ». Monsieur Bellaigue, dans