Page:Le Bon - Lois psychologiques de l’évolution des peuples.djvu/28

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blent d’une essence supérieure à la nôtre, des sortes de colosses dont nous serions les fils dégénérés. C’étaient pourtant des hommes comme nous, chez lesquels les circonstances avaient simplement mis en jeu des possibilités de caractère latentes en chacun de nous. Prenez, par exemple, ces «géants de la Convention», qui tenaient tête à l’Europe en armes et envoyaient leurs adversaires à la guillotine pour une simple contradiction. Ils étaient, au fond, d’honnêtes et pacifiques bourgeois, qui, en temps ordinaire, eussent probablement mené, retirés dans leur étude, leur cabinet, ou derrière leur comptoir, l’existence la plus tranquille et la plus effacée. Des événements extraordinaires firent vibrer certaines cellules de leur cerveau, inutilisées à l’état normal, et ils devinrent ces figures colossales que déjà la postérité ne comprend plus. Cent ans après, Robespierre eût été, sans doute un honnête juge de paix très ami de son curé ; Fouquier-Tinville un juge d’instruction, possédant un peu plus peut-être que ses collègues l’âpreté et les façons rogues des gens de sa profession, mais très apprécié pour son zèle à poursuivre les délinquants Saint-Just fût devenu un excellent maître d’école, estimé de ses chefs et très fier des palmes académiques qu’il eut sûrement fini par obtenir. L’exactitude de ces hypothèses est suffisamment justifiée par ce que fit Napoléon des farouches terroristes qui n’avaient pas encore eu le temps de se couper réciproquement le cou. La plupart devinrent chefs de bureau, percepteurs, magistrats ou préfets. Les vagues soulevées par l’orage, dont nous parlions plus haut, s’étaient calmées, et le lac agité avait repris sa surface tranquille.

Même dans les époques les plus troublées, produisant les plus étranges changements de personnalités, on retrouve aisément sous des formes nouvelles les caractères fondamentaux de la race. Le régime centralisateur, autoritaire et despotique de nos rigides jacobins fut-il bien différent, en réalité, du régime centralisateur, autoritaire et despotique que quinze siècles de monarchie avaient profondément enraciné dans les âmes ? Derrière toutes les révolutions des peuples latins, il reparaît toujours, cet obstiné régime, cet incurable besoin d’être gouverné, parce qu’il représente une sorte de synthèse des instincts de leur race. Ce ne fut pas seulement l’auréole de ses victoires qui rendit Bonaparte le maitre.