Page:Le Bon - Lois psychologiques de l’évolution des peuples.djvu/41

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aujourd’hui. «A mesure que le principe de la division du travail reçoit une application plus complète, l’ouvrier devient plus faible, plus borné et plus dépendant. L’art fait des progrès, l’artisan rétrograde. Le patron et l’ouvrier diffèrent chaque jour davantage.»

Aujourd’hui, un peuple supérieur peut, au point de vue intellectuel, être considéré comme une sorte de pyramide à gradins, dont la plus large partie est formée par les masses profondes de la population, les gradins supérieurs par les couches intelligentes [1], la pointe de la pyramide, par une toute petite élite de savants, d’inventeurs, d’artistes, d’écrivains, groupe infiniment restreint vis-à-vis du reste de la population, mais qui, à lui seul, donne le niveau d’un pays sur l’échelle intellectuelle de la civilisation. Il suffirait de le faire disparaître pour voir disparaître en même temps tout ce qui fait la gloire d’une nation. «Si la France, comme le dit justement Saint-Simon, perdait subitement ses cinquante premiers savants, ses cinquante premiers artistes, ses cinquante premiers fabricants, ses cinquante premiers cultivateurs, la nation deviendrait un corps sans âme, elle serait décapitée. Si elle venait au contraire à perdre tout son personnel officiel, il n’en résulterait pour le pays qu’un faible dommage».

Avec les progrès de la civilisation, la différenciation entre les couches extrêmes d’une population s’accentue fort rapidement elle tend même, à un moment donné, à s’accroître suivant une progression géométrique. Il suffirait donc, si certains effets de l’hérédité n’y mettaient obstacle, de faire intervenir le temps pour voir les couches supérieures d’une population séparées intellectuellement des couches inférieures par une distance aussi grande que celle qui sépare

  1. Je dis intelligentes, sans ajouter instruites. C’est une erreur spéciale aux peuples latins de supposer un parallèlisme entre l’instruction et l’intelligence. L’instruction implique uniquement la possession d’une certaine dose de mémoire, mais ne nécessite, pour être acquise, aucune qualité de jugement, de réflexion, d’initiative et d’esprit d’invention. On rencontre fréquemment des individus abondamment pourvus de diplômes quoique très bornés, mais on rencontre aussi fréquemment des individus fort peu instruits et possédant pourtant une intelligence élevée. Les couches supérieures de notre pyramide seraient donc formées d éléments empruntés à toutes les classes. Toutes les professions renferment un très petit nombre d’esprits distingués. Il paraît probable cependant, en raison des lois de l’hérédité, que ce sont les classes sociales dites supérieures qui en renferment le plus et c’est sans doute en cela surtout que réside leur supériorité.