Page:Le Bon - Psychologie de l’Éducation.djvu/158

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les programmes futurs ressembleront à une sorte d’opération algébrique où il sera bien difficile de se reconnaître. M. Fortoul avait inventé la bifurcation ; on nous présente aujourd’hui la décifurcation, la fourche à dix dents ; c’est à faire frémir.

Efforçons-nous d’être clairs : déjà, dès le premier cycle, on distingue entre trois catégories d’élèves : ceux qui font du latin et du grec, ceux qui font du latin et pas de grec, enfin ceux qui ne font ni latin, ni grec. Ainsi, à l’entrée du second cycle, on trouve les élèves qui ont fait du latin et du grec et qui continuent, soit le groupe A ; puis, ceux qui ont fait du latin et pas de grec et qui continuent, le groupe B ; enfin, ceux qui ne font ni latin, ni grec et continuent, groupe C. Mais il y a, dans chaque groupe, ceux qui, tout en continuant, veulent joindre à leurs nouvelles études, soit l’étude des sciences, groupe D, soit l’étude des langues étrangères, groupe E. Il y a aussi ceux qui ont fait du latin et du grec et qui y renoncent tout en poursuivant l’étude des sciences et des langues, ceux-là retombent dans la catégorie de ceux qui, dans le premier cycle, n’ont fait ni latin ni grec et forment, auprès d’eux, le groupe F. Il y a, enfin, ceux qui veulent tout continuer à la fois ; on prévoit qu’il s’en trouvera, et on forme ainsi un groupe G.

Vous croyez que c’est fini : pas du tout. Il y a un paragraphe insidieux, intitulé section nouvelle, et qui crée, « au-dessus du premier cycle, et à côté du second », une suite d’études plus courtes, spécialement consacrées aux sciences et aux langues vivantes et qui se rapprochent de ce que les Allemands appellent « l’enseignement réel ». C’est donc un groupe nouveau, très distinct des autres et que, pour la commodité de la conversation, nous qualifierons groupe H. Cela fait huit ; et j’en passe.

Ainsi, quand le grand garçon, frais émoulu de la troisième, arrivera aux portes de bronze du second cycle, on lui posera gravement cette question : jeune homme, où prétendez-vous aller ? Groupe C ou groupe H ; ou bien combinez-vous A avec C ? Voyons, réfléchissez ; surtout, ne vous trompez pas : car ici, quand on est entré, on ne revient pas en arrière : laissez toute espérance, lasciate ogni speranza.

Évidemment, tout le monde est content, et, plus que tout le monde, notre vieille connaissance « le préjugé scolaire ». Les élèves suivront, tant bien que mal, par petits paquets, ces voies différentes. Mais, les professeurs, comment feront-ils, courant sans cesse après le petit bataillon sacré qui entrera, sortira, se dispersera, se reconstituera, s’égaillera, et se retrouvera enfin, pour livrer l’assaut décisif, en masse compacte, au pied de la forteresse indestructible[1].

  1. Gabriel Hanotaux, ancien ministre, Le Journal, 27 janvier 1903.