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réforme, nous trouverions encore ce mur solide des facteurs moraux que nous avons déjà rencontré plusieurs fois. Il est constitué ici par la volonté des parents, toute-puissante en ces matières. Le bourgeois français est essentiellement conservateur, et d’autant plus conservateur qu’il raisonne généralement assez mal. Ses pères ont appris le latin, lui-même l’a appris, ses fils doivent, par conséquent, l’apprendre. Il est d’ailleurs persuadé que la connaissance de cette langue confère une sorte de noblesse à ses enfants et les fait entrer dans une caste spéciale.

L’enquête va nous éclairera à ce sujet ; c’est une des rares questions sur lesquelles elle nous ait révélé des faits peu connus.

Nous avons été frappés de l’unanimité des pères de famille à demander le maintien de l’enseignement classique complet. Pour le grec seulement, il y a eu quelques exceptions, d’ailleurs très rares. Mais, à part ce point particulier, ces hommes, qui sont dans des conditions de vie et de carrières très différentes, se sont tous prononcés avec ensemble et énergie pour le maintien des études classiques[1].

La raison fondamentale qui a poussé tant de jeunes gens vers les carrières dites libérales, et vers l’enseignement gréco-latin c’est une raison de vanité. C’est par vanité pure que bien des pères de famille se sont obstinés jusqu’ici à demander pour leurs enfants (quelles que fussent les aptitudes de ceux-ci) l’enseignement secondaire classique.

Une partie de notre bourgeoisie française eût cru signer sa déchéance, si elle n’avait pas obligé ses enfants, quelque médiocres qu’ils fussent parfois, à apprendre le grec et le latin.

Si les Allemands ont plus de goût que nous pour la vie économique moderne, s’ils n’ont pas les mêmes superstitions vaniteuses en ce qui concerne les carrières industrielles et commerciales, cela tient en grande partie ce que la bourgeoisie est en Allemagne une classe récente. Elle plonge ses racines immédiates dans le monde des industriels, des marchands, des boutiquiers.

  1. Enquête, t. II, p. 555. Keller, vice-président de la Société générale d’éducation.