Page:Le Bon - Psychologie des foules, Alcan, 1895.djvu/172

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plus tenace depuis trois quarts d’heure : le premier du deuxième banc, le septième juré. C’était désespérant ! Tout à coup, au milieu d’une démonstration passionnante, Lachaud s’arrête, et s’adressant au président de la cour d’assises : « Monsieur le président, dit-il, ne pourriez-vous pas faire tirer le rideau, là, en face. Monsieur le septième juré est aveuglé par le soleil. » Le septième juré rougit, sourit, remercia. Il était acquis à la défense. »


Plusieurs écrivains, et parmi eux de très distingués, ont fortement combattu dans ces derniers temps l’institution du jury, seule protection que nous ayons pourtant contre les erreurs vraiment bien fréquentes d’une caste sans contrôle[1]. Les uns voudraient un jury recruté seulement parmi les classes éclairées ; mais nous avons déjà prouvé que, même dans ce cas, les décisions seront identiques à celles qui sont maintenant rendues. D’autres, se basant sur les erreurs commises par les

  1. La magistrature représente, en effet, la seule administration dont les actes ne soient soumis à aucun contrôle. Malgré toutes ses révolutions, la France démocratique ne possède pas ce droit d’habeas corpus dont l’Angleterre est si fière. Nous avons banni tous les tyrans ; mais dans chaque cité nous avons établi un magistrat qui dispose à son gré de l’honneur et de la liberté des citoyens. Un petit juge d’instruction, à peine sorti de l’école de droit, possède le pouvoir révoltant d’envoyer à son gré en prison, sur une simple supposition de culpabilité de sa part, et dont il ne doit la justification à personne, les citoyens les plus considérables. Il peut les y garder six mois ou même un an sous prétexte d’instruction, et les relâcher ensuite sans leur devoir ni indemnité, ni excuses. Le mandat d’amener est absolument l’équivalent de la lettre de cachet, avec cette différence que cette dernière, si justement reprochés à l’ancienne monarchie, n’était à la portée que de très grands personnages, alors qu’elle est aujourd’hui entre les mains de toute une classe de citoyens, qui est loin de passer pour la plus éclairée et la plus indépendante.