Page:Le Bon - Psychologie des foules, Alcan, 1895.djvu/173

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jurés, voudraient supprimer ces derniers et les remplacer par des juges. Mais comment peuvent-ils oublier que ces erreurs tant reprochées au jury, ce sont toujours des juges qui les ont d’abord commises, puisque, quand l’accusé arrive devant le jury, il a été considéré comme coupable par plusieurs magistrats : le juge d’instruction, le procureur de la République et la chambre des mises en accusation. Et ne voit-on pas alors que, si l’accusé était définitivement jugé par des magistrats au lieu de l’être par des jurés, il perdrait sa seule chance d’être reconnu innocent. Les erreurs des jurés ont toujours été d’abord des erreurs de magistrats. C’est donc uniquement à ces derniers qu’il faut s’en prendre quand on voit des erreurs judiciaires particulièrement monstrueuses, comme la condamnation de ce docteur L… qui, poursuivi par un juge d’instruction véritablement par trop borné, sur la dénonciation d’une fille demi-idiote qui accusait ce médecin de l’avoir fait avorter pour 30 francs, aurait été envoyé au bagne sans l’explosion d’indignation publique qui le fit gracier immédiatement par le chef de l’État. L’honorabilité du condamné proclamée par tous ses concitoyens rendait évidente la grossièreté de l’erreur. Les magistrats la reconnaissaient eux-mêmes ; et cependant, par esprit de caste, ils firent tout ce qu’ils purent pour empêcher la grâce d’être signée. Dans toutes les affaires analogues, entourées de détails techniques où il ne peut rien comprendre, le jury écoute naturellement le ministère public, se disant qu’après tout l’affaire a été instruite par des magistrats rompus à toutes les subtilités. Quels sont alors les auteurs véritables de l’erreur : les jurés ou les magistrats  ? Gardons précieusement le jury. Il constitue peut-être