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SENTIMENTS ET MORALITÉ DES FOULES

La création des légendes qui circulent si aisément dans les foules n’est pas déterminée seulement par une crédulité complète. Elle l’est encore par les déformations prodigieuses que subissent les événements dans l’imagination de gens assemblés. L’événement le plus simple vu par la foule est bientôt un événement transformé. Elle pense par images, et l’image évoquée en évoque elle-même une série d’autres n’ayant aucun lien logique avec la première. Nous concevons aisément cet état en songeant aux bizarres successions d’idées où nous sommes parfois conduits par l’évocation d’un fait quelconque. La raison nous montre ce que dans ces images il y a d’incohérence, mais la foule ne le voit guère ; et ce que son imagination déformante ajoute à l’événement réel, elle le confondra avec lui. La foule ne sépare guère le subjectif de l’objectif. Elle admet comme réelles les images évoquées dans son esprit, et qui le plus souvent n’ont qu’une parenté, lointaine avec le fait observé.

Les déformations qu’une foule fait subir à un événement quelconque dont elle est témoin devraient, semble-t-il, être innombrables et de sens divers, puisque les individus qui la composent sont de tempéraments fort différents. Mais il n’en est rien. Par suite de la contagion, les déformations sont de même nature et de même sens pour tous les individus. La première déformation perçue par un des individus de la collectivité est le noyau de la suggestion contagieuse. Avant d’apparaître sur les murs de Jérusalem à tous les croisés, saint

    secondes de réflexion, qu’il leur était absolument impossible d’apercevoir de plusieurs lieues de distance le lueur de cette bougie.