Page:Le Bon - Psychologie politique et défense sociale.djvu/107

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serait résolu, mais ce choix n’est qu’exceptionnel. Un antagonisme qui s’accentue chaque jour sépare la multitude des élites. Jamais ces dernières ne furent plus nécessaires qu’aujourd’hui. Jamais cependant elles ne furent aussi difficilement supportées. L’élite intellectuelle pauvre est à peu près tolérée parce qu’ignorée. L’élite industrielle opulente n’est plus acceptée et les lois sociales, édictées par les représentants des multitudes, visent continuellement à la dépouiller de ses richesses.

C’est ainsi que les sociétés actuelles ont fini par se diviser en classes distinctes dont les luttes rempliront l’avenir.

Comment concilier de telles oppositions ? Comment faire vivre ensemble l’élite, sans laquelle un pays ne peut subsister et une masse immense de travailleurs, aspirant à écraser cette élite avec autant de fureur que les Barbares en mirent jadis à saccager Rome ?

Le problème est difficile mais non insoluble. L’histoire nous apprend que les foules, très conservatrices, malgré leurs instincts révolutionnaires apparents, ont toujours rétabli ce qu’elles avaient détruit. Le plus destructeur des triomphes populaires ne modifierait donc pas longtemps l’évolution d’un peuple. Mais les ruines accumulées en un jour demandant parfois des siècles pour être relevées, mieux vaut tâcher de les éviter.

Un remède d’aspect très simple serait de restreindre le pouvoir populaire. Sa simplicité même séduit beaucoup d’esprits. Ce moyen est cependant chimérique. L’évolution démocratique des gouvernements dans tous les pays montre qu’elle correspond à certaines nécessités mentales contre lesquelles les récriminations resteraient vaines. Une élémentaire sagesse conseille de s’adapter à ce qu’on ne peut empêcher. C’est donc aux élites à s’adapter au gouvernement populaire et à endiguer et canaliser les fantaisies du nombre, comme l’ingénieur endigue et canalise la force d’un torrent.

Constatons, d’ailleurs, et ceci forme déjà une utile consolation, que le dogme de la souveraineté populaire n’est pas plus irrationel, au point de vue de la logique, que les dogmes religieux dont les hommes du passé ont vécu et dont beaucoup d’hommes du présent continuent à vivre. Il semblerait même, à en juger par les enseignements de l’histoire, que l’esprit humain s’adapte plus faci-