Page:Le Bon - Psychologie politique et défense sociale.djvu/110

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Puisque ces derniers créent l’opinion, il importe de savoir par quel mécanisme. L’utilité de la psychologie des foules apparaît maintenant évidente. La plus nécessaire des connaissances d’un homme d’État dans une démocratie est celle de la psychologie des foules.

Cette nécessité m’avait frappé, il y a une quinzaine d’années, et c’est pourquoi j’écrivis la Psychologie des foules, sujet très inexploré alors, mais qui fut, depuis l’objet de nombreuses recherches.

Je n’ai pas l’intention de redire ici les caractères des foules et me propose seulement de marquer quelques-uns des plus importants, manifestés nettement au cours d’événements récents.

Observons, auparavant, que si la psychologie des foules commence à être assez connue, puisque les règles posées jadis dans mon livre sont journellement utilisées par des officiers de l’armée et enseignées couramment à l’École de Guerre, elles ne sont pas arrivées encore jusqu’à nos hommes politiques. Ces derniers ne cessent, en effet, de vanter la sagesse, le jugement et le bon sens des foules, qualités dont elles furent dépourvues toujours. Les multitudes manifestent parfois de l’héroïsme, un dévouement aveugle à certaines causes, mais du jugement, jamais. Toute l’histoire est là pour le dire. Quand par hasard elles en montrèrent, c’est qu’on en eut pour elles.

Nos législateurs ne se forment évidemment qu’une idée très inexacte de la mentalité populaire. S’imaginant, par exemple, que la reconnaissance est une vertu collective ils accumulent des lois inutiles ou dangereuses destinées uniquement à plaire à la multitude. Ne soupçonnant guère l’intense mépris des foules pour la faiblesse, ils ne comprennent pas que leurs perpétuelles concessions devant les menaces, les dépouillent graduellement de tout prestige. Ces concessions fixent seulement dans l’âme des meneurs la conviction, que menacer avec violence suffit pour obtenir. Le lendemain même de la loi qui accordait aux employés de chemins de fer des retraites, à peu près égales à celles des officiers et de beaucoup de magistrats, ces employés voyant ce qu’on obtenait par intimidation, se réunirent pour exiger des salaires qui réduiront à une valeur presque nulle les actions des compagnies. Ne doutez pas qu’ils les obtiennent.

Je ne rappellerai pas ici que l’âme collective diffère