Page:Le Bon - Psychologie politique et défense sociale.djvu/202

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jamais jusqu’ici un peuple n’a pu changer sa constitution mentale, pour adopter celle d’un autre.

Les deux systèmes sont donc également détestables et le passage successif de l’un à l’autre ne nous offre aucune chance de les améliorer. On continuera la série des ruineuses expériences, jusqu’au jour où nos gouvernants, enfin éclairés, s’aviseront que laisser au pays conquis ses institutions, ses coutumes, son genre de vie, ses croyances comme le font tous les peuples colonisateurs, les Anglais et les Hollandais notamment, est la plus simple, la moins coûteuse et la plus sage des solutions.

Cette solution serait actuellement impossible, puisque l’opinion publique est contre elle. La conduite de nos administrations, les idées émises dans les journaux et dans les livres, le prouvent suffisamment.

À peu près dégagés en Occident de l’influence des croyances religieuses, nous supposons volontiers qu’il en est universellement ainsi. Fort peu d’auteurs européens ont compris qu’en Orient la question religieuse prime toutes les autres. Institutions civiles et politiques, vie publique ou privée sont, pour les disciples de Mahomet, comme pour ceux de Siva ou de Bouddha, uniquement régies par a la loi religieuse. Manger, boire ou dormir, ensemencer son champ, recueillir sa récolte, constituent chez l’Oriental des actes religieux. Les Anglais le comprennent si bien que, malgré leur protestantisme rigide, ils restaurent aux Indes les pagodes, entretiennent largement les prêtres de Siva et de Vichnou, et ne favorisent nullement le zèle de leurs propres missionnaires. On chercherait vainement sous le ciel britannique des avocats pour soutenir qu’une colonie doit périr plutôt qu’un principe.

Protéger la religion musulmane, nous appuyer sur les congrégations influentes, fortifier l’autorité des prêtres musulmans au lieu de la combattre et de l’affaiblir, aurait dû être la base de notre politique. Le premier résident français à Tunis, un des bien rares gouverneurs ayant su s’assimiler les choses de l’Orient, et qu’on s’est d’ailleurs empressé d’en retirer, faisait preuve d’un sens politique très profond quand il suggérait au bey de Tunis la promulgation de décrets religieux pour affirmer aux yeux des croyants la légitimité des mesures qu’il voulait imposer.

Respecter les coutumes religieuses des Arabes, c’est respecter toutes leurs institutions, ces dernières dérivant