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son mari. C’est la jurisprudence encore qui, malgré l’interdiction légale de la recherche de la paternité, oblige maintenant le séducteur à indemniser la femme séduite et entretenir son enfant.

De tels faits expliquent la genèse des lois et déterminent le vrai rôle du législateur. Il devrait consister uniquement à sanctionner les lois quand elles sont déjà faites c’est-à-dire créées par la coutume et fixées par la jurisprudence. Toute loi surgie inopinément sans avoir passé par ces deux étapes, est frappée de mort le jour même où on la promulgue.

Comme exemple d’un droit nouveau en voie de se former sous l’influence de la coutume et de la jurisprudence, citons le pouvoir prépondérant et croissant chaque jour dans des proportions colossales, de notre Conseil d’État. Jadis rouage administratif secondaire confiné dans des fonctions assez subalternes, il est devenu progressivement, sans réglements nouveaux, un pouvoir qui fait plier tous les autres. Il juge sans appel dans les cas les plus différents, révoque les arrêtes des préfets et des ministres, réintègre des officiers de marine retraités, annule des nominations de fonctionnaires, etc.

D’où provient une telle autorité ? Toujours de la même source. De coutumes créées par la nécessité et fixées par la jurisprudence. Ce n’est pas le Conseil d’État qui a rêvé d’empiéter sur les autres pouvoirs. C’est le public qui l’oblige à empiéter sur eux, parce qu’il est désireux de limiter les fantaisies ministérielles ou administratives et de trouver quelque protection au milieu d’une anarchie universelle. Toutes les démocraties sont conduites d’ailleurs à la création de ces puissances supérieures présentant un peu d’indépendance et de fixité. La cour suprême des États-Unis joue un rôle analogue à celui que paraît devoir remplir bientôt notre Conseil d’État.

Un fait frappant dans la création de ces pouvoirs spontanés et justifiant la thèse exposée ici sur la genèse du droit, c’est qu’ils ne s’appuient pas sur des textes, ne sont souvent sanctionnés par aucun, et acquièrent cependant une grande puissance alors que des lois nettement formulées, n’en possèdent aucune.

Ce phénomène s’observe également en Angleterre. Les principes les plus fondamentaux du Gouvernement ne reposent nullement sur des textes, il n’y en a pas eu pour