Page:Le Bon - Psychologie politique et défense sociale.djvu/58

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Ils terrifient parfois les âmes craintives, mais s’évanouissent comme des bulles de savon dès qu’on est assez hardi pour en approcher.

Tous ces petits spectres éphémères, grimaçants et futiles, sont perpétuellement enfantés par un autre fantôme, invulnérable celui-là et immortel : le fantôme colossal de la peur. Son pouvoir s’exerce depuis les origines du monde et le temps ne l’a pas effleuré encore.

Je ne sais si, comme l’affirmait le grand poète Lucrèce, le fantôme de la peur engendra les dieux, mais je suis très certain que si son influence n’avait pas constamment dominé les peuples et leurs maîtres, le cours de l’histoire eût été tout autre. Et je sais bien encore que si ce terrible despote, et ses fils innombrables, n’agitaient pas inlassablement leurs ombres sur notre Parlement, l’effrayante anarchie où nous sommes plongés aurait fait place à l’ordre et à la discipline sans lesquels aucune société ne peut subsister.


Tous ces fantômes, celui de la peur comme ceux qu’il engendre, furent connus des grands hommes d’État. Savoir les utiliser fit partie de leur génie. Les simples politiciens les subissent, mais ne les utilisent pas.

L’histoire lamentable de la grève des postiers révéla à quel point des gouvernants, un peu trop dépourvus de génie peuvent être terrifiés par les moindres spectres. Elle a montré aussi comment se développent ces derniers dès qu’on néglige de les maîtriser et avec quelle facilité ils s’effondrent sous la main qui ose les toucher.

Il était d’abord tout petit, le fantôme créé par les postiers. Rien n’eût été plus aisé, l’événement l’a prouvé et je l’avais annoncé dans un article de l’Opinion, que de l’anéantir. Mais la terreur de cette ombre vaine avait tellement paralysé le gouvernement qu’il capitula vite et si humblement que les délégués postiers purent assurer publiquement avoir vu les ministres « presque à leurs genoux, les suppliant de reprendre leur service ».

L’humilité de cette attitude fut d’ailleurs finalement très utile. Lorsque, dans un État, une classe, une caste, un parti s’imagine être tout-puissant, il songe aussitôt à devenir le maître. Stupéfaite d’avoir intimidé le Parlement, la magistrature et l’armée, la caste des postiers se croyant invincible voulut utiliser son petit fantôme sans