« Eh bien ! les gens de l’Enès[1], on ne prend pas un boujaron ? »
Gaîment ils répondent :
« — Nous en prendrons deux au retour. »
Ils sont à jeun depuis minuit, afin de pouvoir communier à la messe d’aube. Chacun d’eux accomplit le pèlerinage pour son clan et doit rapporter à tous les siens la bénédiction de Notre-Dame. Il n’y a pas de famille dans l’île qui n’ait parmi eux son représentant, son délégué, muni des recommandations les plus expresses. Souvent on le tire au sort, à la courte paille. Son premier soin, dans la semaine qui précède le départ, est de faire visite à toute la parenté, depuis le grand-oncle jusqu’à l’arrière-petit-cousin. Tous ont à le charger de quelque « commission » pour la sainte. C’est l’aïeul qui sent que sa vue baisse et qui demande qu’elle lui soit conservée ; c’est la tante Barba qui a les « gouttes » et qui supplie qu’on l’en délivre ; c’est tonton Guillou, tourmenté par un
- ↑ Ile. Les insulaires des côtes bretonnes appellent leur île l’Ile tout court, comme les continentaux ne les désignent d’ordinaire que par le nom d’Iliens, sans autre qualification.