Page:Le Braz - La légende de la mort chez les Bretons vol 1 1902.djvu/43

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éprouver quand il nous conduit d’un cercle à un autre de son enfer[1]. » La peinture est sans doute poussée au noir. Il n’en est pas moins incontestable qu’il y a une gravité, une mélancolie propres à cette contrée. L’indécision de la lumière, la fréquence des brouillards, les déformations souvent singulières qu’ils font subir aux objets, les silhouettes fantômales et mystérieusement animées qu’ils prêtent, par exemple, aux rochers des côtes ou aux troncs, déjà bizarres en soi, des chênes ébranchés sur les talus, la plainte du vent qui règne ici en maître, celle de la mer dont l’accent n’est jamais le même le long d’un rivage découpé à l’infini, tantôt creusé d’entailles profondes, tantôt semé de récifs ou jonché de galets, tout concourt à favoriser le penchant inné de l’imagination bretonne au fantastique et au surnaturel.

Le paysage est, en effet, de complicité avec le climat. A suivre les vieilles routes abandonnées, feutrées d’herbe molle, on s’explique sans trop de peine que la rencontre subite d’un passant tardif y puisse prendre le caractère d’une apparition. Telles régions, d’une solitude farouche et presque sinistre, appellent nécessairement le mythe. Et, pour qui a visité l’immense marais de tourbe noirâtre, désigné sous le nom de Yeun Elez, dans le canton le plus sauvage de la Bretagne intérieure,


1. Renan, Essais de morale et de critique, p. 375-376.

  1. Renan, Essais de morale et de critique, p. 375-376.