Page:Le Braz - La légende de la mort chez les Bretons vol 1 1902.djvu/79

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les autres, le courant l’eût déposé sur le récif auquel il dut de ne disparaître pas noyé, ce fut en vain qu’il emplit l’étroit estuaire marin du cri forcené de sa détresse. La côte était cependant assez rapprochée pour qu’il pût distinguer non-seulement le profil des maisons, mais jusqu’aux ombres des gens dans le cadre des vitres encore éclairées. A tout instant, il se disait : « On va venir ». Point. Les lumières du rivage s’éteignirent l’une après l’autre et personne ne bougea. Il cria toute la nuit : toute la nuit, on le laissa crier. Ce n’est qu’à l’aube — à l’aube, remarquez bien — qu’on se décida enfin à recueillir cette épave humaine que la mer avait épargnée et qu’un secours moins tardif nous eût sans doute permis de conserver à la vie, à la science, à toutes les nobles choses qu’il aima. Et pourquoi le secours ne vint-il que lorsqu’il ne pouvait plus servir qu’à prolonger la plus atroce des agonies physiques et morales ? Une femme de pêcheur à qui j’en faisais tristement reproche me répondit en baissant la tête : « Oh ! nous entendions bien les appels : ils déchiraient assez la nuit ! Mais, à cause de cela même, nous croyions que c’étaient les Ames de l’Enfer de Plougrescant qui hurlaient. »

Notez qu’il n’y a pas de marins plus intrépides que les habitants de cette côte. Ils se font un jeu quotidien de mépriser la mort. Mais ils ont des morts une peur irraisonnée, une peur sauvage