Page:Le Braz - La légende de la mort en Basse Bretagne 1893.djvu/170

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Mais, dès les premiers pas, les « apprentis-prêtres » restèrent cloués sur place par l’épouvante.

Le visage de Glaouier était jaune comme cire. Ses yeux étaient convulsés et fixes. Le souffle de l’Ankou avait terni son regard. L’âme, pour s’échapper, avait écarté les lèvres. On ne voyait plus entre les dents blanches qu’un trou béant, un creux noir et sinistre.

Le malheureux ! s’écrièrent d’une commune voix les étudiants, il est mort, il est réellement mort !

— Jean Coz ne vous l’avait-il donc pas dit ! interrogea tranquillement l’idiot[1].


(Conté par Catherine Carvennec. — Port-Blanc.)


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  1. C’est peut-être en traduisant cette légende que j’ai le plus vivement senti l’impossibilité presque absolue de faire passer dans la phrase française quelque chose de l’horreur tragique que distille à chaque mot le récit breton. Catherine Carvennec a la voix mélodieuse et lente. Elle nous racontait ce qui précède avec une aisance tranquille, comme s’il se fût agi d’un événement très ordinaire. Tout en écrivant, au gré de sa parole, j’examinais du coin de l’œil d’autres conteuses qui étaient là et qui attendaient leur tour. Elles étaient pâles, pâles de terreur. J’ai rarement vu sur des figures humaines une telle expression d’angoisse. Eh bien, je n’ai fait que traduire mot à mot le récit de Catherine Carvennec : d’où vient que le meilleur s’en est évaporé ? C’est ma faute, sans doute. Je remplis un acte de conscience en m’en accusant ici, et pour ce récit, et pour tous les autres.