Page:Le Braz - La légende de la mort en Basse Bretagne 1893.djvu/265

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en fine toile. Mais la « pauvre » n’avait, hélas ! que trop à faire dans son ménage, autour de son homme, de ses quatre enfants, et des bêtes qu’il faut soigner à l’instar des gens. Depuis douze ans qu’elle était mariée, son rouet chômait dans un coin de la cuisine, et, en fait de toile, il n’y avait guère chez elle que de la toile d’araignée.

Donc le malin esprit lui disait :

— Femme Rojou, tu es seule avec ton mari dans la maison de la défunte. Personne encore, dans la contrée, ne sait que la vieille a trépassé. Personne non plus ne sait au juste ce que renferme son armoire. Nul ne sera surpris qu’on l’ait trouvée vide. Pas un héritier ne réclamera, puisque Marie-Jeanne Hélary vivait solitaire et racontait elle-même qu’elle avait perdu toute sa parenté. Ce qu’elle laisse s’en ira à vau l’eau, deviendra la proie de l’État, du « gouvernement », qui est à lui seul plus riche que tout le monde, et qui n’a jamais fait quoi que ce soit pour Marie-Jeanne Hélary. Toi, au contraire, tu t’es toujours montrée serviable envers elle, tu vas tout à l’heure t’occuper de lui rendre les derniers devoirs. N’est-il pas juste que tu prennes ta part de ce qu’il y a dans sa maison et dont elle n’a désormais que faire ?

Ainsi parla le diable, le tentateur éternel.

Lénan Rojou était une honnête femme, mais elle était la fille de sa mère, et sa mère était la fille d’Ève. Elle écouta les propos du démon.

— Ho ! ho ! Gonéri, dit-elle, ce n’est pas les linceuls qui manquent. Il y a ici de quoi ensevelir cent cadavres. Regarde plutôt !