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EN BASSE-BRETAGNE

de l’église, où il priait côte à côte avec le recteur pour le retour heureux de sa femme.

Il fut soulagé d’un grand poids en la voyant reparaître par la porte de la sacristie, saine et sauve.

Elle tremblait pourtant de tous ses membres.

— Eh bien ? Lénan, demanda le recteur.

— Oh ! répondit-elle, j’ai vu des choses que nul autre ne verra.

— Expliquez-vous, Lénan !

— D’abord, monsieur le recteur, j’ai déplié une première pièce de toile sur la tombe. Un vent s’est élevé aussitôt, et la pièce de toile s’est envolée en gémissant. J’en ai déplié une seconde. Le même vent s’est élevé de nouveau, et la seconde pièce de toile s’est envolée comme la première, mais sans gémir. J’en ai déplié une troisième. Celle-ci a fait un bruissement léger comme l’haleine du printemps à travers les feuilles nouvelles. Puis elle s’est gonflée comme une voile, et s’en est allée au loin, par le chemin de Saint-Jacques[1] tout au fond du ciel. La terre de la tombe alors s’est crevassée ; j’ai vu Marie-Jeanne Hélary allongée, toute nue, dans le creux noir de la fosse. J’ai déplié la quatrième pièce de toile. Au lieu de s’envoler, celle-ci s’est engouffrée en terre, et la morte s’est roulée dedans, en faisant : brr ! brr ! comme quelqu’un qui a très froid. Restait la cinquième et dernière pièce. J’allais la déplier et l’étendre, lorsque quatre anges descendus du paradis me l’ont arrachée des mains.

  1. La voie lactée.