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LA LÉGENDE DE LA MORT

Et, pour changer de conversation, il ajoutait avec sa jovialité ordinaire :

— Puisque c’est ton lot de faire des crêpes, si tu ne les fais pas bien de ton vivant, crois que tu l’en repentiras, après ta mort.

Le Vieux avait d’autres amusements.

Par exemple, il lui arrivait de passer les après-midi à jouer à la boule. Un soir, un pillawer de La Feuillée[1], qui était en tournée dans la région, vint demander à loger à Keranniou.

Ce pillawer avait entendu parler du pôtr coz.

Les pillawers sont gens habiles, mais ils ont tort de se croire plus d’esprit encore qu’ils n’en ont. Celui-ci, après avoir bourré de tabac à chiquer et allumé au foyer sa petite pipe en terre noire, dit à Thérèse qu’il

  1. Le bourg de La Feuillée est situé dans le Ménez-Aré, sur la route de Carhaix à Landerneau, non loin du Ménez-Mikel et du funèbre marais de Ieun-Elez, véritable Stygia palus de la Basse-Bretagne. La colline qui porte le bourg s’élève à 280 mètres au-dessus du niveau de la mer. C’est un pays triste, d’une nudité maigre et désolée. Quelques moutons y trouvent à paître, mais la terre n’y nourrit point son homme. Aussi le montagnard de cette contrée a-t-il fait de nécessité vertu. Périodiquement, à la belle saison, il se transforme en nomade. Il laisse aux femmes et aux enfants la garde de la maison et celle du troupeau, puis descend, au trot d’un bidet, vers les campagnes plus riches de la Cornouaille méridionale. Il chemine de seuil en seuil, occupé de mille trafics, achetant les vieilles choses sordides, vieilles ferrailles, vieux chiffons. Les sonnailles de son bidet tintent le long des routes, tandis que retentit son cri mélancolique Tamm Pillou ! Tamm ! (morceaux de chiffons ! morceaux !) C’est un type très à part que celui du pillawer, et qui prêterait à une curieuse monographie.