Aller au contenu

Page:Le Braz - Vieilles histoires du pays breton, 1905.djvu/172

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
168
AUX VEILLÉES DE NOËL

de pages rugueuses, grossièrement imprimées, mais en qui bruissait l’âme enfantine et si charmante des vieilles poésies primitives.

Qui veut la gwerze ? Qui veut la sône ?… Daou guennek ! Deux sous !…

Et des mains se tendaient. Et on se l’arrachait, ce « papier de chandelle ». Et les gros sous pleuvaient dans l’escarcelle de l’homéride bas-breton ! Ils n’y séjournaient pas longtemps. Chanter donne soif. Puis, c’était bien le moins que, en l’honneur du saint du lieu, l’on se permit quelques libations à la mode antique. Avant la fin du jour, les bons aèdes avaient bu autant de chopines qu’ils avaient vendu de chansons.

C’étaient de vrais enfants de Sans-Souci ; ils aimaient à s’en aller les poches vides, comme ils étaient venus. On ne les en blâmait point, dans ce temps-là. Leur facile imprévoyance semblait aux gens toute naturelle. On les regardait un peu comme des êtres à part, qui n’avaient pour fonction dans la vie que de perpétuer parmi les Bretons le culte des vieux chants, d’en composer de nouveaux suivant les formules consacrées, et d’égayer, en les répandant par le pays, la misère si dure à porter des pauvres laboureurs d’Armorique.

Hommes bénis, on les accueillait partout avec une sorte d’empressement superstitieux et comme des hôtes de bon présage. L’hiver, quand ils apparaissaient au seuil des fermes, leur havre-sac dégouttant de neige, leur barbe hérissée de glaçons, vite on se serrait autour de l’âtre pour leur faire place à l’air du feu ; souvent même l’aïeul se levait de son fauteuil de chêne et les contraignait de s’y asseoir. Lisez la ballade de Kerglogor, telle que M. Luzel l’a contée, et vous verrez comme on leur faisait fête ! Crêpes de blé noir, châtaignes bouillies, et le