Page:Le Braz - Vieilles histoires du pays breton, 1905.djvu/18

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esse. " Qu'est-ce que j'ai donc ? se demandait-elle : je tremble comme si j'étais malade de la mauvaise fièvre. " Le Keranglaz s'était mis à parler, à parler très vite ; mais elle n'entendait que le bruit des mots : cela était doux commme une musique ; elle s'efforçait d'en comprendre le sens, elle n'y parvenait pas. Sa tête était pleine d'un bourdonnement confus. De plus, il lui semblait que des milliers et des milliers de petites bêtes invisibles lui grimpaient tout le long du corps. Elle eût voulu les secouer d'elle, et ne le pouvait. Elle était comme dans ces rêves, où l'on cherche à courir et où l'on a les jambes empêtrées dans on ne sait quel obstacle. Un charme était sur elle.

Tout à coup elle poussa un cri, un cri sauvage, un hurlement de bête blessée.

Penché sur elle, Goulvenn de Keranglaz, les yeux luisants et fixes, les veines gonflées à se rompre, tâchait de l'étreindre à bras le corps.

Elle rejeta la tête en arrière, se raidit d'un mouvement désespéré. Machinalement elle se rappela le couteau de chasse que cet homme portait à la ceinture, du côté gauche. Elle tâta, trouva la poignée, brandit l'arme et la plongea dans le dos du Keranglaz, avec une telle force qu'il s'abattit à terre, comme un bœuf assomé.

Eperdue, affolée, elle s'élança dans la nuit. Et toute la nuit elle galopa devant elle, à travers bois, geignant et bramant, telle qu'une génisse qu'on a oubliée dans les prairies, et qui bondit, et qui meugle lamentablement sans que son troupeau lui réponde.