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Page:Le Braz - Vieilles histoires du pays breton, 1905.djvu/17

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LA CHARLÉZENN

Se levant du foyer où elle était accroupie, elle échangea avec Keranglaz le fils un regard d’intelligence et se dirigea vers la porte avec un air de dignité offensée, en grommelant :

— Puisque c’est moi qui suis de trop, je m’en vais !

La pauvre Marguerite Charlès se reprocha aussitôt les mots acerbes qui lui étaient échappés. Elle voulut courir après sa mère-nourrice pour la ramener. Mais elle eut beau faire le tour de la hutte, fouiller des yeux l’épaisseur de la nuit, crier : Nann ! Nann ! dans toutes les directions, Nann s’obstinait à ne point reparaître.

De guerre lasse, la jeune fille rentra dans la « loge ».

— Monseigneur, supplia-t-elle, si vous m’aidez, nous la ramènerions !

— Laissez donc cette sorcière, Marguerite, elle s’en est allée à quelque sabbat.

— Oh ! monseigneur ! monseigneur ! si les loups la mangent !…

— Ma foi, c’est les loups que je plaindrai… Tranquillisez-vous, et venez vous réchauffer à ce feu. Vous êtes toute transie.

Il jeta sur l’âtre une brassée de genêt. La flamme monta, haute et claire, avec un crépitement joyeux. Puis il força la Charlézenn à s’asseoir à sa place, sur l’escabelle.

— Quant à moi, dit-il, je ne veux que la faveur de m’étendre à vos pieds.

Il s’assit, en effet, sur la pierre du foyer, mais la figure tendue en avant jusqu’à frôler celle de la jeune fille. La Charlézenn sentait sur sa joue l’haleine forte et chaude du fils aîné de Keranglaz. Sans qu’elle sût pourquoi, elle avait pour de cet homme. C’était cependant un beau gars, dans tout l’épanouissement de la jeunesse,