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Page:Le Braz - Vieilles histoires du pays breton, 1905.djvu/255

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EN ALGER D’AFRIQUE

même, pour être franc, que je ne songeai point à m’esquiver.

Tout au contraire. Une envie irrésistible le prit, lui, chrétien, de joindre sa prière à celle de ces mécréants, il s’agenouilla derrière leurs files pressées et, dans la maison de Mohammed, il se mit, au milieu de toutes ces oraisons musulmanes à réciter son oraison catholique, en breton.

La voix du mufti, tout au haut de la nef, égrenait la lente mélopée du Coran.

Naïvement, sans penser à mal il se laissa aller, les yeux mi-clos, à écouter susurrer cette voix grêle, un peu chevrotante, avec de très douces modulations. Et elle lui rappelait, quoi qu’il fit pour repousser cette comparaison sacrilège, oui, elle lui rappelait le vieux curé de sa paroisse, et la messe basse dans l’église bretonne, et les répons étouffés de l’enfant de chœur sur les marches du maître-aulel.

N’était-ce donc pas vraiment à quelque nocturne de Noël qu’il assistait ? N’allait-il point découvrir quelque part, dans un des recoins de la mosquée, cette crèche naïve à laquelle travaillaient naguère ses sœurs, aux approches de la grande fête ? Il s’imaginait presque la voir là-bas, près de la chaire du mufti, avec son toit de branchages verts où des flocons de ouate simulaient la neige, avec son Jésus de cire sur un lit de paille fraîche, et son saint Joseph à figure grave, et sa mignonne Vierge, et les muffles recueillis des bœufs.

Rien ne gênait l’illusion ; même elles semblaient la fortifier encore, toutes ces formes prostrées devant lui, dont il n’apercevait que les dos ; les blanches vous avaient des airs de religieuses encapuchonnées, et, quant à celles de couleur sombre, on les pouvait prendre aisément