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Page:Le Braz - Vieilles histoires du pays breton, 1905.djvu/289

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LA HACHE

« moi ». très simple » au contraire, très primitif, mais d’une si exquise simplicité ! Et combien varié néanmoins ! Que d’images changeantes, tour à tour gaies ou tristes, défilent, en moins de temps qu’il ne faut pour les saluer au passage, dans les clairs yeux septuagénaires de Matic Corniguellou ! Vous rappelez-vous ces yeux des filles de Bretagne que Renan célébra jusque devant la face de Pallas Archégéte, purs « comme ces vertes fontaines où, sur un fond d’herbes ondulées, se mire le ciel » ? Aussi limpides sont ceux de Matic, la fileuse de chanvre ; seulement, au cours de l’arrière-saison, il y a plu des feuilles mortes. Car elle a connu les jours pénibles et les nuits, les pâles nuits de larmes. Elle a eu à pleurer, non seulement ceux dont elle était issue, mais ceux encore qui étaient issus d’elle.

— Je suis, dit-elle en sa jolie langue, comme une touffe d’herbe oubliée par mégarde dans un pré que la faux des faucheurs a tondu.

Ou bien :

— Mon rouet a filé plus de linceuls que de draps nuptiaux.

Elle ne parle, au reste, de ces choses qu’avec une pudeur discrète, une sorte de symbolisme transparent, jamais pour se douloir ni pour apitoyer. Il y a de plus malheureux qu’elle. Elle porte en elle-même le remède à toutes les afflictions : une force de résignation que rien ne saurait surprendre, jointe à une extraordinaire puissance de vie idéale. On fait grand bruit de la tristesse innée des Bretons, race occidentale, toute pleine des nuages de son ciel et de l’éternelle lamentation des mers. Or, il n’est pas un peuple au monde d’un optimisme plus absolu et plus entêté. Nourri de misère, il exalte la douceur de l’existence, et la mort même n’est