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Page:Le Braz - Vieilles histoires du pays breton, 1905.djvu/333

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HUMBLE AMOUR

changent avec les choses. Je commence à dire dépaysé dans ma propre paroisse. Les nouvelles générations m’apparaissent comme des visages étrangers : elles ne ressemblent on rien à celles que j’ai connues et qui me furent chères ; elles ont d’autres pensées, d’autres préoccupations, d’autres goûts ; à les écouter, elles valent mieux. Cependant elles sont moins gaies. Les plaisirs qui nous enchantaient, dans notre jeunesse, ne leur suffisent plus ; elles en ont inventé d’autres qui les amusent peu et qui leur sont nuisibles. Je les entends sans cesse se plaindre, sans qu’elles sachent au juste de quoi, comme si le pain n’avait plus la même saveur pour leurs lèvres et comme si le soleil béni ne luisait plus du même éclat sur leurs têtes. J’assiste à des transformations qui m’étonnent, qui me font peur. Car, je vous le dis, tout est changé, non seulement le peuple, mais les nobles, mais les prêtres. M’est avis qu’on finira par nous changer Dieu. Il est vrai qu’alors ce sera la fin des fins…

La pipe de Laurik s’est éteinte : il s’interrompt pour la rallumer, en cueillant à même dans le foyer un morceau de braise qu’il fait rouler dans le creux de sa main, tapissé d’un véritable cuir. Et, après une pause, il reprend :

— Jadis nous n’avions d’autre ambition que de faire ce qu’avaient fait nos pères et de vivre comme ils avaient vécu. Les anciens nous répétaient : « La vie n’est qu’un temps à passer, » et nous ajoutions foi à la parole des anciens. Par suite, les peines nous semblaient moins lourdes, les joies plus savoureuses. Nous allions d’une allure paisible, sans hâte, en gens qui ne demandent au chemin que de les conduire où il mène. Nous n’attachions aux choses de la terre qu’un prix modéré, puisque cependant nous n’étions que de passage au milieu d’elles,