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Page:Le Braz - Vieilles histoires du pays breton, 1905.djvu/334

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RÉCITS DE PASSANTS

L’argent nous touchait peu, nous n’eussions pas fait un pas au devant de lui. Il venait ou ne venait point, partait ou restait, cela le regardait et non pas nous. C’était l’usage, en Bretagne, de dire : L’argent est sourd, l’argent est aveugle : il va où il peut et n’entend pas qui l’appelle. Nos besoins étaient médiocres, notre faim et notre soif se satisfaisaient à bon compte. Pour tout luxe, une pipée de tabac, le dimanche, avec un verre de cidre frais dont les pommiers de ce temsp-là n’étaient point avares. (Avez-vous remarqué que, depuis l’intrusion en notre pays des maléficieuses boissons d’ailleurs, nos braves pommiers bretons semblent dégoûtés de produire ?)

« Nous étions des hommes heureux. La chanson que nous chantions de préférence disait :

Gwell eo karantez leiz au dorn
Eged arc’hant leiz ar forn !

« Mieux vaut de l’amour plein la main que de l’argent plein le four ». — Nous aimions de toutes nos forces. La grâce des jeunes filles, la tendresse de leur délicieux petit cœur nous possédaient tout entiers. Dès le catéchisme, vers l’âge de douze ans, chacun de nous choisissait sa douce. Et plus tard, vous plus grand, elle plus jolie, vous la meniez aux pardons des chapelles d’alentour, en la tenant par le petit doigt. On n’échangeait que de rares propos, bien insignifiants. Vous disiez : « Le vent qui souffle de votre courtil sent bon l’odeur des plantes fines. » ou encore : « Du seuil de ma porte, j’ai plaisir à voir monter en l’air la fumée bleue de votre toit. » Elle répondait : « Il n’est point d’herbe si odorante qui ne se fane », ou : « Fumée qui s’élève, au vent se dissipe. » Et elle vous donnait son parapluie à porter, confessant de la sorte, en fille sage, que si elle vous plaisait, en re-