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Page:Le Braz - Vieilles histoires du pays breton, 1905.djvu/341

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HUMBLE AMOUR

« Je pris la chose pour un compliment.

« — Oui, répondis-je, c’est un métier où il faut un talent spécial, beaucoup de patience, de perspicacité, d’adresse. Ne devient pas bon taupier qui veut. Mon père a formé bien des élèves, mais il prétend qu’aucun d’eux ne me vaut. J’ai hérité de la finesse de son œil et de la sûreté de sa main. Quand mon boyau s’abat, la taupe est à moi… Il y a des professions plus considérées, il y en a peu qui soient d’un meilleur rapport. À deux sous la bête, comme c’est le prix, je fais aisément mes vingt-quatre sous par jour. Cela n’est point à dédaigner.

« J’avais parlé tout d’une haleine, le feu aux joues, avec un secret désir de passer pour quelqu’un aux yeux de Néa. Des journées de vingt-quatre sous en ce temps-là étaient des raretés. Les tailleurs n’en gagnaient que dix. La fillette, songeuse, roulait entre ses doigts le rebord de son tablier. Je m’imaginai que mes paroles avaient fait impression sur elle, qu’elles lui donnaient à réfléchir. Et j’en eus une joie orgueilleuse, mais qui ne dura qu’un instant.

« — Oui… peut-être… soupira-t-elle. N’importe, Laurik ! À votre place, moi, j’aimerais mieux laisser à d’autres le soin de détruire ces pauvres petites bêtes.

« Je demandai, déconcerté, un peu dépité aussi :

« — Ah !… Et quel état auriez-vous donc choisi, Néa Garandel ?

« — Moi ?… Oh ! un seul, Laurik, le plus beau, le plus vaillant ! J’aurais été marin sur la mer.

« Sa figure avait subitement pâli, ses prunelles brillaient d’un éclat sombre, d’une flamme mystérieuse et presque sauvage…

« Sans rien ajouter, elle s’envola. Il n’y a pas d’autre mot pour marquer combien vite elle gravit la pente, traversa le fourré, disparut derrière la colline.