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Page:Le Braz - Vieilles histoires du pays breton, 1905.djvu/342

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RÉCITS DE PASSANTS

« L’après-midi me sembla long. Je n’avais plus la tête ni le cœur au travail. Mon sang dans mes veines courait comme un fou, et, dans ma poitrine, ce n’était plus une mais vingt cloches qui sonnaient le tocsin. Je compris que j’avais la grande fièvre, la fièvre à la fois si douce et si terrible à trembler. J’aimais Néa. Néa m’avait versé le philtre d’amour. Et je sentis que si elle ne consentait point à devenir un jour ma femme, j’en mourrais. « Que la même main qui a allumé le feu l’éteigne, » dit la sagesse des Bretons. Un brasier flambait en moi, allumé par une main d’enfant. De tout le reste de la journée, je ne tuai point un seul animal. Il m’était venu un soudain dégoût de mon métier, du métier de mon père. J’étais malade et triste. Je n’attendis pas que les premières ombres du soir se fussent allongées sur les prairies. Jetant mon boyau sur l’épaule, je m’acheminai, les jambes faibles et vacillantes, vers le toit des Garandel. Dans les haies de prunelliers les oiseaux s’égosillaient, saluant la mort du soleil. Je me rappelai une vieille chanson du pays trégorrois :

Petits oiseaux, vous fredonnez, joyeux,
Et vous ne savez point ma peine…

« Il n’y avait dans la maison, quand j’entrai, que la ménagère, Fanta. Elle fut toute surprise de me revoir tôt : « — Tu as fini de bonne heure ! dit-elle sans qu’il y eut toutefois le moindre reproche dans son accent… Tu auras un bon moment à t’ennuyer, mon fils, avant que le souper ne soit prêt.

« — Faites excuse, Fanta, répondis-je. Avec votre permission, je ne resterai point souper.